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Négociations commerciales annuelles : l'article L. 441-3 du Code de commerce est-il contraire au droit de l'Union ?

 

FLASH ACTUALITE – MAI 2025

 

Le formalisme du code de commerce français

 

En France, le code de commerce[1] (ci-après, le « Code de commerce ») impose une obligation pour les fournisseurs et les distributeurs de produits (ou les prestataires de services) de signer une convention écrite (ci-après, la « Convention unique ») avant le 1er mars de l’année de sa prise d’effet (ci-après, la « Date-butoir légale »), et de la renouveler périodiquement à la même date[2].

 

Créée par la loi de Modernisation de l’Économie de 2008[3], cette obligation vise à préserver la loyauté et l’équilibre des relations commerciales et de prévenir les abus de puissance économique par les parties en position de force, historiquement les acteurs de la grande distribution.

 

La Convention unique doit ainsi mentionner « les obligations réciproques auxquelles se sont engagées les parties à l'issue de la négociation commerciale »[4]  en vue de fixer le prix des produits : réductions de prix, services de coopération commerciale et autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services.

 

Tout manquement relatif à cette obligation peut entraîner une amende administrative d’un montant pouvant aller jusqu’à 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale par contrat non signé à la Date-butoir légale, ces montants étant portés respectivement à 200 000 € et 1 000 000 € pour les produits de grande consommation. Ce plafond est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive[5].

 

La qualification de loi de police

 

Si le champ d’application matériel de ces dispositions du Code de commerce (les relations fournisseurs-distributeurs) était posé dès le début, la question de son champ d’application dans l’espace, en dehors du territoire de la République française, a suscité des débats.

 

En 2019, la Commission d’Examen des Pratiques commerciales (ci-après, la « CEPC »), instance consultative qui veille à l’équilibre des relations entre producteurs, fournisseurs et revendeurs au regard de la législation en vigueur, a ainsi été interrogée sur la question de savoir si les dispositions précitées du Code de commerce étaient applicables en présence d’un élément d’extranéité[6]. Se basant sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après, la « CJUE »)[7], la CEPC a considéré que la question relevait de la « matière administrative » et non des matières civile et commerciale, excluant l’application des règlements Bruxelles I[8] et Rome I et II[9]. En effet, lorsqu’elle inflige des sanctions pour non-respect de la Date-butoir légale, l'administration publique agit en utilisant des prérogatives de puissance publique et ne se trouve pas dans la situation d'une partie ou d'un partenaire.

 

La CEPC ajoute que, selon elle, le formalisme des relations commerciales prescrit par le Code de commerce a le caractère d’une loi de police, de nature à s’imposer aux parties « même lorsque ces dernières ont délibérément choisi de ne pas faire application de la loi française dans un contrat international »[10]. Elle précise néanmoins qu’« en présence d’un élément d’extranéité, les dispositions de [l’article L. 441-3 du Code de commerce] auront vocation à s’appliquer uniquement en présence d’un lien de rattachement suffisant avec la France au regard de l’objectif poursuivi par le texte. »[11] ce qui sera selon la CEPC le cas si le lieu d’exécution de la relation commerciale est situé sur le territoire français et ce, quelle que soit la nationalité du fournisseur et / ou du distributeur.

 

Malgré cette précision de la CEPC, non contraignante, des questions ont continué de se poser concernant le champ d’application de la Convention unique dans l’espace, notamment en raison de stratégies de certains opérateurs économiques pour contourner la loi française. En 2020[12], le législateur a ainsi introduit une nouvelle mention obligatoire à la Convention unique, relative à « tout service ou obligation relevant d'un accord conclu avec une entité juridique située en dehors du territoire français, avec laquelle le distributeur est directement ou indirectement lié », avec pour objectif de lutter contre les détournements de la loi par la délocalisation de centrales de « services » en dehors du territoire français pour imposer des baisses de tarif substantielles non prévues dans la Convention unique.

 

Dans le même esprit de lutter contre ce que le législateur français considère comme de l’« évasion juridique »[13], la loi « Decrozailles »[14] est venue, en 2023, préciser dans le Code de commerce que les dispositions du code de commerce relatives à la convention annuelle (ainsi que celles applicables aux pratiques restrictives de concurrence) sont d’ordre public et « s'appliquent à toute convention entre un fournisseur et un acheteur portant sur des produits ou des services commercialisés sur le territoire français » et que « tout litige portant sur leur application relève de la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve du respect du droit de l'Union européenne et des traités internationaux ratifiés ou approuvés par la France et sans préjudice du recours à l'arbitrage »[15].

 

Les dispositions du Code de commerce français ne sont pas contraires aux libertés fondamentales ou au droit de l’Union européenne

 

Une centrale de services, la société coopérative de droit belge Eurelec Trading (ci-après, « Eurelec Trading »), avait ainsi été co-créée en 2016 entre plusieurs coopératives de commerçants indépendants regroupés sous l’enseigne « E. Leclerc », d’une part, et le groupe allemand « Rewe », d’autre part, dans le but de mener les négociations commerciales des deux enseignes au niveau européen.

 

Eurelec Trading n’ayant pas signé un certain nombre de conventions annuelles à la Date-butoir légale, l’administration française l’a condamnée à des sanctions administratives pour un montant total de 6 340 000 euros par une décision du 28 août 2020. Suite à un refus implicite du Ministre de l’Economie et des finances d’annuler cette décision, puis à un rejet de son recours par le Tribunal administratif de Paris, Eurelec Trading a formé un recours contre cette décision devant la Cour Administrative d’Appel de Paris.

 

A l’appui de son recours devant la Cour Administrative d’Appel, la société Eurelec Trading arguait notamment du fait que l’obligation, pour les fournisseurs et les distributeurs, de conclure une convention avant le 1er mars de l’année de sa prise d’effet, était contraire à plusieurs titres au droit de l’Union. Dans un arrêt du 13 décembre 2024[16], la CAA rejette l’ensemble des arguments d’Eurelec Trading.

 

En premier lieu, la CAA rejette l’argument de la société Eurelec selon lequel cette obligation constituait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation, interdite au titre de l’article 34 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après, « TFUE »). La CAA note à cet égard que les dispositions précitées du code de commerce (i) ne régissent que les relations contractuelles, et non les caractéristiques des produits, (ii) qu’elles s’appliquent indifféremment à tous les produits vendus sur le territoire français, quelle que soit leur provenance, (iii) qu’elles n’imposent pas que la négociation et la conclusion de la Convention unique aient lieu en France.

 

En second lieu, Eurelec Trading considérait que l’article L. 441-3 du code de commerce constituait une restriction à la liberté d’établissement et à la liberté de prestations de services, respectivement garanties par les articles 49 et 56 du TFUE. La CAA balaye également ces arguments, au motif que ledit article s’applique aux produits commercialisés en France et n’a « ni pour objet, ni pour effet (…) d'inciter à s'établir en France ou de dissuader ou de limiter la faculté de s'établir sur le territoire d'un autre Etat membre ». De la même manière, dans la mesure où cette obligation vise, non à faciliter les contrôles de l’administration, mais à garantir la loyauté des relations commerciales et à préserver l’équilibre dans les relations fournisseur-distributeur, elle répond à des raisons impérieuses d’intérêt général, est nécessaire à la protection des fournisseurs et « n'est ni constitutive d'une discrimination, ni disproportionnée ». En cela, la loi française ne crée pas d’obstacle à la liberté d’établissement.

 

Enfin, selon Eurelec Trading, les dispositions du droit français devaient s’assimiler à un droit national de concurrence, dont une application qui entraînerait l’interdiction d’une pratique susceptible d’affecter le commerce entre les Etats membres mais qui n’a pas pour effet de restreindre la concurrence, et serait donc licite au regard du droit européen de la concurrence, est interdite par le droit de l’Union[17]. Or, la CAA relève que « l'obligation, prévue par les dispositions précitées de l'article L. 441-3 du code de commerce, de conclure une convention écrite entre fournisseurs et distributeurs avant le 1er mars de l'année de sa prise d'effet n'a ni pour objet, ni pour effet d'empêcher ou de restreindre la faculté de constituer une centrale internationale d'achats par un accord entre entreprises n'ayant aucun effet restrictif de concurrence. »

 

Si un recours contre la décision de la CAA Paris est encore possible, entre temps, Eurelec Trading a de nouveau été condamnée pour non-respect de la Date-butoir légale[18], au titre de l’année 2024, à plus de 38 millions d’euros d’amende[19].

 

Pour l’heure, l’article L. 441-3 du code de commerce doit donc être considéré comme compatible avec le droit de l’Union. En pratique, les centrales d’achat ou de référencement, les distributeurs et les fournisseurs situés en dehors de la France doivent être vigilants : dès lors que les produits qu’ils vendent, achètent ou négocient pour le compte de leurs membres sont destinés au marché français, leurs contrats sont soumis à la Date-Butoir légale du 1er mars.

 

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[1] Articles L. 441-3 et suivants du code de commerce (initialement, articles L. 441-7 et suivants du code de commerce).

[2] La convention peut être conclue pour une durée d’un, deux ou trois ans.

[3] Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, JORF 0181 du 5 août 2008.

[4] Article L. 441-3-I du Code de commerce.

[5] Article L. 441-6 du Code de commerce.

[6] CEPC, Avis n° 19-7 relatif à une demande d'avis d’un professionnel portant sur le champ d'application de l’article L. 441-7 du code de commerce dans un contexte international.

[7] CJUE, 19 janvier 1994, SAT – Eurocontrol, aff. C-364/92 ; CJUE, 16 janvier 1980, Ruffer, aff. C-814-79 ; CJUE, 15 mai 2003, Préservatrice foncière, aff.C-266/0.

[8] Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, JOUE L 351 du 20.12.2012, p. 1–32.

[9] Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), JOUE L 177 du 4.7.2008, p. 6–16 et Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) JOUE L 199 du 31.7.2007, p. 40–49.

[10] CEPC, Avis n° 19-7 précité, p. 2.

[11] CEPC, Avis n° 19-7 précité, p. 5.

[12] Loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), JORF n°0296 du 8 décembre 2020.

[13] Sénat, Compte-rendu de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi visant à sécuriser l'approvisionnement des Français en produits de grande consommation, 8 février 2023.

[14] Loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, JORF n° 0077 du 31 mars 2023.

[15] Article L. 444-1 A du code de commerce.

[16] CAA de PARIS, 9ème chambre, 13/12/2024, 22PA04574, Inédit au recueil Lebon.

[17] Article 3 du règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité.

[18] Telle que modifiée par la loi n° 2023-1041 du 17 novembre 2023 portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation, JORF n°0267 du 18 novembre 2023.

[19] https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/amende-administrative-de-38-067-000-eu-lencontre-deurelec-trading-scrl-leclerc-pour-non